Par un après-midi ensoleillé du mois de mai 2000, nous nous trouvions dans une zone industrielle des environs de Strasbourg, sur le lieu de production des Tuyaux Centrifugés du Rhin. Cet univers était hostile, rigide, très éloigné de l'ambiance feutrée des salles de danse ou du théâtre. Des tubes circulaires en béton de formes et de diamètres disparates étaient alignés à perte de vue. Peu à peu, nous avons investi ces lieux de notre désir de mouvement. Dans les jeux d’ombre et de lumière, les corps fragiles et souples remplissaient les cavités qui se présentaient à notre regard. Notre imagination rendait possible la rencontre improbable de l’art dans l’univers industriel. photos karin hodapp, texte pascale dennefeld, chorégraphie irena tatiboit |
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1. Où sont-elles posées ces danseuses immobiles ? Dans quel sommeil rêvent-elles ? Sont-elles mortes ? Viennent-elles de naître ou d'expirer ? |
2. Tout est suspendu, le souffle et l'instant, le pas et le mouvement. |
3. Quels sont ces récipients sans fond qui les contiennent ? Matrices béantes dont elles pourraient tout à l'heure émerger, gicler pour visiter le monde. Chemins elliptiques traversés de lumières, creusés d'ombres, bordés d'énigmes. |
4. Alvéoles sans opercules dont peuvent s'échapper ces êtres aux limites d'eux-mêmes arrivés, posés sur les marges du temps. |
5. Quel soutien titanesque, quel écartèlement cosmique ont-elles entrepris ces amazones, ces gazelles ? - Et quelles furent leurs conquêtes ? Est-ce la lutte ou l'alliance, le fracas ou la palpitation qui scelleront leur destin ? |
6. Maintenant, les voici qui frémissent. Elles ne remuent pas. Elles entrent dans un rythme immobile. Elles n'apprennent pas à marcher comme les petits enfants. Elles sont bien au-delà de la fonction première. |
7. Elles sont le geste, l'énergie, la vie, l'Essence. Elles sont danse et musique et paroles murmurées. Immobiles et muettes, elles emplissent l'atmosphère de mouvements, de sons, de mots. |
8. La pose figée dans laquelle sont offerts leurs corps n'est qu'un semblant d'arrêt, une fausse halte, un demi soupir. La suite de leur itinéraire hasardeux s'entrevoit. Elles nous donnent la danse, l'émotion, le trouble. |
9. Nous dansons ensemble. Les joies, les deuils, les morts, les renouveaux, les espérances, les forces, les faiblesses, les voyages et les rêves, les passions, les peurs, l'allégresse. |
10. Elles offrent les larmes, les rires, les chocs et les plaisirs. Elles ignorent leur pouvoir car elles sont des enfants. Elles ne savent pas encore que leur danse est la Vie, le Sens, le Verbe. |